Extrait de Tartarin de Tarascon, Alphonse Daudet
Le Port de Marseille il y a 150 ans
C'était à perte de vue un fouillis de mâts, de vergues, se croisant dans tous les sens. Pavillons de tous les pays, russes, grecs, suédois, tunisiens, américains [...]. Les navires au ras du quai, les beauprés arrivant sur la berge comme des rangées de baïonnettes. Au-dessous les naïades, les déesses, les saintes vierges et autres sculptures de bois peint qui donnent le nom au vaisseau ; tout cela mangé par l'eau de mer, dévoré, ruisselant, moisi [...]. De temps en temps, entre les navires, un morceau de mer, comme une grande moire tachée d'huile. [...]
Sur le quai, au milieu des ruisseaux qui venaient des savonneries, verts, épais, noirâtres, chargés d'huile et de soude, tout un peuple de douaniers, de commissionnaires, de portefaix avec leurs bogheys attelés de petits chevaux corses.
Des magasins de confection bizarres, des baraques enfumées où les matelots faisaient leur cuisine, des marchands de singes, de perroquets, de cordes, de toiles à voiles, des bric-à-brac fantastiques. [...]
Partout un encombrement prodigieux de marchandises de toute espèce : soieries, minerais, trains de bois, saumons de plomb, draps, sucres, caroubes, colzas, réglisses, cannes à sucre. L'Orient et l'Occident pêle-mêle.